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«Art was art because it was not nature» (Goethe) (2 )

 

ange  roux  abstrait

 

 

iLLUSTRATION    LUCE CAGGINI

 

 

 

 

Mes déserts resplendissent des échos de mon enfance africaine. Un voile de paix sommeille dans mon unique vision de ces années de bonheur.

 

La maison de Mawingo où j’ai passé mon enfance est ouverte sur la savane. Les grandes ouvertures et les matériaux rudimentaires de cette maison ont été faits pour l’éphémère, comme ces beaux hommes noirs que je regarde traverser la salle où nous prenons nos repas, mon frère Cornelius-Victor, moi et mes parents.

Aller à l ‘école fait partie de la première joie de notre journée. Cornelius-Victor et moi parcourons les deux ou trois kilomètres sur le porte-bagages de la bicyclette de Kaîfas, le boy de la maison, moi devant, mon frère derrière, tous deux poussant nos petits cris de guerre, Kaîfas enchanté de nous faire plaisir.

 

J'ai dix ans et je sais deux choses.

La première : les silences sont intransportables.

La deuxième est ce que la maison en bois me dit : demain tu seras privé de ton royaume en herbes.

 

Je suis assis sur les marches de la terrasse, je regarde au loin deux girafes isolées du troupeau, sur la ligne d’horizon.

Deux girafes ont suffi à me remplir d’émoi.

Je savais que le reste était là.

Quand elles déserteront ce paysage serein où les herbes ondulent comme de gracieux animaux, je resterai momifié dans mon chagrin, dans l’inénarrable souvenir de celles qui furent si souvent mon unique centre de vie.

 

Un jour, dans la poussière du chemin qui conduit à la maison j'ai vu arriver un groupe d'hommes dont je ne voyais que les jambes longues, fines qui avançaient lentement en état d'apesanteur.

En levant les yeux, je vis briller des pétales autour de leur cou.

Des choses flottaient autour de leur corps, des morceaux d'étoffe pour certains, des peaux de chèvre pour d'autres et tout autour de leur tête, des plumes d'autruche noires se balançaient doucement. Ils s'arrêtèrent à quelques mètres de moi et aussitôt ils furent entourés par tous dans le village.

 

Assis à terre, au premier rang, je restai ébloui, éberlué par ce qui s'en suivit.

 

J'inaugurai une vision de l'Afrique, de la danse, de ses chants, je participai autant que mes mains, mes bras le pouvaient.

 

Moi, le chétif, le différent, le plus menu du lot des monarques de ce déploiement en effervescence, en extase à leurs pieds, je devenais le centre de vie de ces Massaïs dansant, bondissant autour de moi comme des flammes d'ébène, comme des ombres animées revenant sans cesse me caresser pour me laisser enfin dans un abandon de moiteur et de douceur retrouvée.

 

 

Curieusement, je n’entends plus leurs chants.

 

Captif aujourd'hui encore de ces lieux du secret qu’ils transmettaient à travers les arabesques de leurs corps élancés, galvanisés par le roulement des tambours.

Si je ferme encore un peu les yeux, je peux encore percevoir le frôlement de leurs danses, la poussière dorée qui nous enveloppait, la sève fertile monter jusqu'au sommet de ces Massaïs en transe. Mais, avais-je vraiment les yeux grand-ouverts ?

J'ai appris plus tard qu’ils appartenaient à la tribu des Samburus.

 

Ces Samburus-là avaient embrasé mon air.



25/05/2020
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