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Premier Avril... Vendredi saint.... Le temps s’est cassé. (Première partie

 

PHILIPPE SII BEAU g

 

 

 

 

 

Premier Avril
Vendredi saint
Le temps s’est cassé.

 

 

Saint Robert est un bourg perdu.
Tu es perdu.
Tes forces abolies par la maladie te permettent encore de faire quelques pas autour de ton lit.
Je viens d arriver de Paris parce que ce matin tu m’as appelée en me disant : Maman, ce serait une bonne idée si tu venais.


Samedi deux avril.
Nous passerons ce jour de Pâques ensemble toi et moi.
Dans le compartiment du train, je suis seule.
J’ai dû récupérer ma respiration à plusieurs reprises, étreinte par des spasmes à bondir hors de mon corps. Une armada de petits organismes voraces enserrés gonfle dans ma gorge, je suffoque comme une bête affolée. Étrangeté de ce parcours à travers un pays que je découvre enchanteur qui m’entraîne comme un fétu de paille à contre courant de la vie heureuse.
Un wagon tragique me charrie .


Ma première visite à Saint Robert depuis ton installation, il y a un an. Le taxi vient à peine de me déposer devant le portail qui s’ouvre très lentement.


L’air a changé de couleur, rien sur quoi je puisse m’appuyer.
Devant moi une méprise terrifiante. Ta silhouette très amaigrie te fait paraître encore plus grand. Tu avances comme un oiseau blessé sur deux trop longues pattes.
Je ne trouve rien à dire.


Je comprends, ce sera une entrevue privilégiée, une offrande.


Des blocs de marbre tombent en poussières devant mon effarement.


On ne s’agenouille pas devant les vivants. Tu es tout seul dans cette grande bâtisse.

C’était un cri non formulé, un cri éteint, un cri d’enfant malade. Tu es le Maître de cérémonie dans la parenthèse d’un homme tombé qui croit qu’une mère peut tout sauver toujours.
Tu souris au faîte de ta souffrance.
Ce petit animal devant moi, pâli anéanti qui a choisi de venir passer son dernier caprice en province c’est mon enfant qui ne peut rester debout plus de dix minutes qui se consume sous mes yeux.



La maison médiévale surplombe un paysage resplendissant dans une lumière douce, celle qui convient à cette fin de vie.
Nous faisons tout comme si…
Cette ponctuation dans le temps est dense fragile immuable, tout en même temps.

Inconsistante et miraculeusement souveraine réalité parallèle au bonheur d’entrevoir Antoni dans une dimension surréaliste ..
Tu rentres après avoir passé quelques jours à l’hôpital de Brive. Ils t’ont proposé un nouveau traitement.
-Cela ne se refuse pas ,n’est-ce pas?
Le projectile a été envoyé posément.
En une envolée, je suis supplique, prière, prosternation. chiffon, église.
Dis seulement un mot et………
Des mots qui deviennent magistralement écrasants surtout quand ils ont bravé les siècles, survolé les arches de l‘histoire, le ventre des vierges, le zénith des hurlements des purs et des impurs .
Gestes nécessaires.
Paroles nécessaires pour braver les heures à venir.
Je me brûle la main avec la poignée de la théière et cela me fait du bien.
Mon pauvre petit oiseau hier encore tu triomphais de la vie, les plus beaux papillons voletaient autour de toi.


Thé,petits gâteaux, douceurs et petits potins.
De qui n’avons nous pas parlé ?
Nous avons toujours ri des mêmes choses avec ce petit zest nécessaire de cruauté qui nous faisait tellement de bien. Les gros, les laids, tout ce qui passait à portée de nos rires insolents nous encourageait à exulter avec la joie que seuls les mauvais peuvent avoir.
Si seulement il nous était donné d’être mauvais encore une fois.
Un jour au Lincoln Center à New York pendant le concert nous avons dû faire lever toute la rangée pour aller nous étrangler de rires dehors, tu t’en souviens?
Nos regards s‘étaient arrêtés au même moment sur un dindon à lorgnons.
Je te fais rire, mais nous savons bien que cet instant n’a pas la saveur douce de la convalescence, il a la qualité de l’illusoire.


Tu es arrivé au bout de tes forces.
Moi, je donnerais toutes les miennes pour retrouver mon insolent jeune homme de fils répliquant à un évêque de nos amis qui lui faisait gentiment remarquer à la fin d’un contrat de bridge qu‘il avait fait échouer :
-Antoni, tu as oublié l’atout .
-Monseigneur, quand j’ai besoin d’une règle, je l’invente .


Nous continuons nos bavardages, tu me racontes tes exploits new-yorkais :
Un jour tu fais la connaissance d’un copain de classe de ton père qui est maintenant comme ça. Il est devenu ton meilleur client. Il n’aimait que les jeunes blacks.


Il devrait y avoir un temps de bonheur qui s’appellerait émotion douce. Les exégètes parlent de l’endormissement de la vierge, quelle vierge suis-je pour souffrir ainsi ?
Et toi, mon petit enfant qui porte sur ton visage avec insolence et délicatesse la joie, la fierté de ma vie…… Pourquoi ?
Mère Divine, écarte de mon fils tout sentiment de crainte.
C’est le son d’une foi que j ‘invente pour mon fils qui souffre.
Y a-t-il jamais eu une foi heureuse?
Nous ne savons pas nous attendrir en paroles, jamais. Pas de plaintes, non plus; tu veux entendre Mozart. Je me sauve dans la cuisine. J’ouvre la fenêtre sur le jardin. J’écoute Mozart et les oiseaux; nous existons chacun hors de la vie qui nous a été commune.
Je ne sais pas où je suis.
Je suis une Déportée. Mozart a été la religion de notre maison, Julien Clerc aussi. Rien ne nous a jamais fait peur. Cette symphonie transforme cet instant et lui donne une valeur de référence. Nous sommes tous deux affranchis de la tromperie des apparences. Les choses qui nous entourent n’appartiennent pas à cette musique. Nous sommes enlevés détournés de nos corps. .
Moi, je vois M……, où tu es né.
Des images reviennent.
Nous habitons la maison de vins de ton grand-père. 47 route de la marine, au bas de la ville haute, là où se trouvent tous les chais.
Tu viens de naître.
Avant de demander au chirurgien si tu es une fille ou un garçon, j’interroge :normal ?
Tes jeux interdits répondaient déjà à ce point d’interrogation. Et moi, la candide, le jeune temple vivant de ton appartenance à cette terre,
complètement rassurée, je me suis assoupie l’âme ensoleillée.
J’ai dix-sept ans.
Je regarde l’univers de mon fils, dans un cadre de vie emprunté, comme ces précieuses minutes aspirées, qui vont se refermer avant de figurer au chapitre « Nous étions heureux et nous ne le savions pas »
Ton propriétaire a laissé à ta disposition tous ses meubles anciens. Nous vivons la vieille France avec un sentiment de confort familial.
Nous n’avons jamais eu de vieille France. Les français nous jugent sur le passé de nos ancêtres, il y a longtemps que nous avons dépassé ces redondances. Tu es l‘arabe et le juif de mon coeur, je porte le collier berbère. Notre terre c’était le soleil, et ce soleil a sombré.
Jusque là je croyais avoir éprouvé le pire,l’appartenance à l’exil.
Ma terre nourricière, mon Algérie de mère, à qui je fais appel sans cesse dans toutes les pliures de mes souvenirs, ma terre passionnelle ,vécue et revécue, , ma Cita ideale s’engouffre tout au fond de moi.

C’est toi qui me mets au monde dans cet instant intranscriptible où tu atteins les portes de la solitude, cette inconnue.

Tu fais de moi l’ouvrière et l’ actrice de la neuvième heure, un instant unique pointé dans les implacables arabesques du temps, une goutte de temps moiré, transparent.
Ta vie a transformé la mienne en deux battements d’aile.
Et je suis montée…montée…..
Quel étrange échange de rôle irréversible .

Sur ton lit deux téléphones, tu te comportes en professionnel:mentir, lutter braver c’est encore être en vie? Tu as transformé ton lit en table de travail, tous tes dossiers sont éparpillés sur les couvertures.
Avec ta voix de charme, tu joues sur un violon composé de différentes combinaisons de chiffres et de destinations pour un client qui ne saura plus rien de toi dans le si peu de temps à venir. Tu m’apprends en un clin d’oeil plus que personne jamais ne saura m’enseigner.
Deux mille ans pour retrouver un mot.



08/08/2020
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