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Martine L Petauton parle de Luce Caggini :"Un écrivain-peintre-oiseau.

 

 

 

 

 

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« Je vis aujourd’hui dans une maison confortable, entre des murs épais, ma terre dans ma tête, dans un lieu sans nom, peuplé d’ombres », dit la femme qui a eu besoin de deux livres, pas moins, pour dire la mort-sida du fils : « alors le lion se fit oiseau, et mit sa crinière dans une cage rarement utilisée par les lions… ».

 

Maladie de la fin du siècle dernier, tenant encore haut sa partition, dans le début de celui-ci ; le sida parsème le genre-roman, écrit et édité en langue française, tant et si bien, que la recherche Google fait défiler « à la vitesse d’un Mystère Falcon 20 », dirait Luce, de pleines pages aux titres évocateurs. Mémoires d’un jeune homme devenu vieux de G. Barbedette ; Eloge de l’amour au temps du sida de S. Chauveau, cohabitant, bien sûr avec les livres d’Hervé Guibert qui ont marqué d’un sceau aux couleurs si particulières les moments de nos lectures : Le protocole compassionnel et A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie.

 

 

Luce Caggini est un écrivain-peintre – oiseau, sans doute aussi, qui vole entre l’Afrique noire de l’Est, le Kenya, qui colore « Un sourire… » et parfume ses peintures, New York qui s’entend encore quand elle parle, l’Algérie de son enfance qu’elle ré-apprivoise en Corse, l’Amérique latine qu’on la suppose chanter, le Berry, qui héberge son ordinateur, Paris, bien sûr où elle vit… Caggini n’est de nulle part et de partout ; c’est une malle-valise qui s’emporte avec elle, qui dit sa vie, et, au cœur de celle-ci, son enfant, cet Antoni, dont on ne sait le nom que dans Jeux d’amphores, mais qui règne bien autant surUn sourire de mon ami le lion, de Mombasa à New York, par ce Cheanee, né là-bas, en Afrique :

« innocence nage mes parents… j’ai dix ans… je suis assis sur les marches de la terrasse, je regarde au loin deux girafes isolées du troupeau, sur la ligne d’Horizon ».

 

Inévitable, conforme à tous les rêves de vieux monde, Cheanee s’embarque pour « America » :

 

« je débarquai à New York, un jour d’été à dix-huit ans. Dieu, qu’il faisait beau ! ». Installation chez David « l’homme de ma vie ».

Pages éclatantes, presque sur-éclairées ; sons de victoires tambourinantes, juste là, pour laisser tourner la lumière, dès les pages suivantes. Il y aura Luiz et Franck, surtout Moise :

« sa voix est une grâce qui me tient lieu de mère ») ; et l’irruption de la vie-sida : « de temps en temps, nous apprenons que des copains sont allés se réfugier dans les keys en Floride, avec leurs piles de traitement tri-partites et leur corps flétri ».

 

Caggini étant plus poète que documentariste ; il nous faut saisir la réalité, toucher ces marques de la maladie infamante, vite, au détour de ces quelques vers-mots lâchés, plus du tout protégés par l’écorce ; crus, quand il le faut, vrais, forts, avec la brutalité qu’on n’attendrait pas :

 

« oublier mon état de viande en décomposition, en déversoir, à 4000 mètres de fond… cela a commencé par une première douleur dans l’abdomen, une petite fièvre qui ne me quittait pas ».

 

L’homosexualité est là, en première ligne, posée, comme la vit Cheanee ; son ressenti par les autres, et en particulier, les siens :

« as-tu jamais croisé des homosexuels ? As-tu jamais pensé que ton fils pouvait en être ? ».

 

Déroulé de la maladie, parfum d’un diagnostic clinique, de la visite chez le médecin, à la nouvelle à dire à la mère :

 

« alors, tu as la maladie ? Cinq petits mots, cinq gouttes d’acide coulent lentement et viennent se déposer sur le visage de ma mère… dans la seconde même, le mot bonheur fut éradiqué de mon langage ». Et, « c’est un tigre usé qui retraversera l’Atlantique pour la dernière fois »…

 

Dans Jeux d’Amphores, touffu, un peu baroque, au sens portugais du mot, d’une insolence de jungle tropicale, Luce Caggini ranime son enfance algérienne, sa trajectoire :

 

« j’enchaîne avec trois enfants, quand les autres s’instruisent ; je m’envole avec ma ligne de jeune fille, quand les autres se dégraissent en régimes amaigrissants»,

 

et cisèle son Antoni, à la fin du chemin. « Saint Robert »,

le mien, le Corrézien, l’a accueilli, « arrivé au bout de ses forces ».

La naissance revient faire un dernier tour :

 

« nous habitons la maison des vins de ton grand-père, au bas de la ville haute de Mostaganem. Là, où se trouvent tous les chais. Tu viens de naître. Avant de demander au chirurgien, si tu es une fille ou un garçon, j’interroge : « normal ? ».

 

On retrouve dans les pages denses du stade final, ce contre-chant déjà présent dans l’arrivée de la maladie de Cheanee ; précision des mots durs, poésie presque lyrique des ressentis. Un son à l’Africaine ; musique heurtée des jumbe. Quelque part, aussi, un vieux « soul » américain, chanté à bouche fermée.

 

« Je fais ta toilette ; tu es fatigué dès le réveil. Nous regardons des photos de toi que je ne connais pas ».

 

La mort, dite par un écrivain ! ce qu’aucun d’entre nous ne saurait écrire, ce que chacun, pourtant, a besoin de lire :

 

« cette nuit, j’ai laissé toutes les lampes allumées, je suis une proie à l’affût des bruits que j’inventerais s’ils n’existaient pas ».

« J’ai ouvert la porte de ta chambre, je viens de glisser le long du mur jusqu’à terre. La foudre vient de décomposer une petite enveloppe de chair et de grâces… ».

 

Là encore, la littérature…

 

Martine L Petauton

 

Luce Caggini est née en Algérie. Sa vie s’inscrit dans le monde-patrie. Peintre, auteur de chroniques et billets (notamment dans « Reflets du Temps », où on retrouvera plusieurs larges extraits de ces deux livres).www.luce-caggini.com



05/08/2020
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