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«Art was art because it was not nature» (Goethe) (3 )

 

 

112  Etude  avant Visions   MarginalesILLUSTRATION    LUCE  CAGGINI

 

 

 

 

Il n’y avait pas de promenade de hasard chez nous.

Nous n'avions pas le droit de nous aventurer seuls.

Quelquefois, nos parents ont accepté que nous les accompagnions avec un guide, lui-même escorté d'un pisteur armé.

Nous sommes nés là et n'avons pas connu autre chose que ces escapades en dehors de quelques très rares sorties à Nairobi.

Cependant notre curiosité se trouvait renforcée à chaque nouvelle expédition. Nous étions conscients d’un accident toujours possible, cela avait créé une retenue de notre part.

Un jour, nos parents nous avaient emmenés faire un tour sur les pistes.

Dans le camion du gardien de la réserve, Cornelius-Victor et moi étions perchés sur le plateau arrière, cramponnés aux ridelles, parés à repérer tout ce qui aurait représenté un danger que nous souhaitions de toutes nos forces voir surgir derrière chaque buisson.

Ce jour qui aurait dû être un jour comme les autres, me plaça sur une orbite folle, dont je fus partie et tout.

 

Un lion, est passé au loin, dans mon paysage secret.

Le garde s’apprêtait à amorcer un virage quand se produisit l’événement qui me bouleversa.

Des centaines d’électrons volts me parvinrent comme un message de connivence : le lion était là, il me toisait.

 

Cette vision magique de la puissance prise sur le vif fut pénétrante au point que tout explosa dans ma tête.

L’air chaud troublait ma vue à travers la savane.

L'animal avançait lentement, je le sentais comme je me sentais moi-même, prêt pour une royauté dont je ne pouvais définir les attributs.

Cornelius-Victor et moi étions inégaux dans le plaisir qu'offrait cette vision.

Mon corps me soufflait déjà une vie à venir, mon coeur se dilatait sous mes yeux. Ce lion est resté incrusté dans ma vie comme le modèle d’une épopée où je jouais le rôle du fauve en liberté, confiant dans ma domination face aux anesthésiés qui m’entouraient.

Le seul fait d’y repenser me rend un peu de ce bonheur évanoui.

 

 

 

 

Les jeunes gnous ont des pleurs d’enfant comme les hommes quand ils souffrent.

Notre mère nous avait dit qu'un jeune gnou n'avait aucune chance de survivre sans sa mère, aussi, un soir que j'entendais leurs clameurs et que je suivais leurs silhouettes à contrejour,

j 'ai tout de suite pensé à un troupeau de jeunes orphelins désespérés en voie de disparition.

 

Le vieux guide que mon père avait constamment à ses cotés, avait pris une place de choix dans ma vie. Il avait apprivoisé un rhinocéros. Celui-ci déboulait cornes en tête quand le vieux faisait claquer ses doigts. L’air du temps révolu rend mes souvenirs vibrants et clairs.

 

Cette petite musique habite la resserre précieuse dans mon sanctuaire du bonheur.



26/05/2020
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