lucecaggini.blog4ever.com

«Art was art because it was not nature» (Goethe) (4 )

 

 

SAHARA

 

 

 

ILLUSTRATION  LUCE CAGGINI : HABIT DE MUR ( TEXTILE )

 

 

 

La silhouette fragile et élancée de ma mère fait partie de cette construction heureuse. Sa blondeur de suédoise a fait la une le jour de son arrivée.

Cornelius et moi étions fiers de cette maman unique dans l’espèce féminine parvenue jusqu‘à nous.

 

Nous parlions français à la maison, mais l’anglais était notre langue avec les boys et mes camarades de classe à Nairobi. Maman, elle, peut nous parler en trois ou quatre langues.

Nous pensons que c’est le propre des gens de Stockholm.

Nous faisons la différence entre l ‘accent français de notre père et le sien. Adultes nous sourirons encore en entendant « un fourchette » ou « une couteau ».

 

Souvent Cornelius et moi restions postés derrière la grande baie vitrée de la maison, à guetter la marche paisible des buffles, des antilopes et des zèbres qui se succédaient pour aller boire dans les pounds, à la lisière des forêts - galeries.

 

De l’autre côté du fleuve, nous savions la Réserve des Massaïs, créatures aériennes, se déplaçant comme personne de connu, sur leurs jambes démesurées. Je brûlais, sans en faire part, de me sauver et me planter droit devant ces élégants géants mûris au soleil de l’Afrique.

Nous restions là, jusqu'aux dernières lueurs du jour, accroupis, attentifs sans que notre curiosité ne soit jamais somnolente, jusqu’à la récompense absolue : voir arriver les éléphants à la queue leu-leu, comme d’énormes outres noires pleines de grosses choses qui bougent avec des ailes qui s’agitent et une queue qui se balance sans cesse.

 

Peut-être pour se rendre intéressants ou bien parce qu'ils étaient eux-mêmes terrifiés, les jeunes noirs nous avaient raconté des histoires horribles sur les éléphants, si bien que voir ces pachydermes défiler même de très loin nous procurait un délicieux sentiment de danger et de sécurité derrière notre rempart vitré.

Personne ne s’est jamais aventuré sur ce territoire que nos parents protégeaient par amour des animaux. Notre mère savait, elle appliquait cette loi naturelle dès sa jeune enfance.

 

Cette terre tant  aimée s’envole derrière mes années, traçant des frontières aveugles et tenaces qui ne bougeront plus, car la vie, c’est tout ce qui bouge, seulement ce qui bouge.

Cette donnée de première importance m’est apparue dès l'enfance.

Ce fut le début de dispositions scientifiques qui n’ont pas eu la suite brillante à laquelle une famille attentive aurait pu s’attendre.

Je me structurais sur un périlleux modèle double-face.

Une enseigne avec gravure en coin : intégrité morale sans bascule possible, de l'autre côté, un arsenal de notes inutiles, volatiles avec pour Estampille «faire comme si».

 

Mes humanités se développèrent dans certains domaines où j’exerçais le même sens de l’observation mais sur les êtres m’environnant.

Il m’arrive une fois par décennie, d’avoir une perception intégrale de l’essorage du temps, de toutes les variantes dominantes de mes vertes années.

 

Quand j ‘ai pu arracher aux murailles factices de ma vie d’homosexuel débridé, perfusé de tout côté d’éléments porteurs d’une vie animale fougueuse, en faire jaillir une esquisse parallèle, c’est comme si j’avais épuré le génie de l'âme humaine dans une brisure de conscience qui m’aurait replacé sur le rivage, tel un grain de sable que le vent aurait soulevé, prêt à rejoindre son territoire, à marée humaine.

 

Je me sens tout près de confondre physique et métaphysique, larvé dans ce bruit de fond où illusion et vérité sont consistantes.

 

Je vois l’heure.

Qu’est-ce que ça veut bien dire ?

Je suis un arbre dont les feuilles seraient en automne et les branches en hiver.

Je centre mon art de vivre entre une bouffée de réalité et une bouffée de fiction.

J’ai besoin d’autres informations, dans un registre où tout soit clair, où les mystères auraient disparu.

 

Après avoir entendu un jour Léonard Bernstein me dire : « Venir au ciel est un bonheur » ... Je veux savoir.

 



26/05/2020
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 70 autres membres